Même s'il est là
Je l'ai rencontré vers 16 ans. J'ai d'abord été dans la découverte. L'exploration. L'apprentissage.
Quand j'ai quitté le nid familial, je suis partie avec lui. Cela rassurait tout le monde en quelque sorte. Je partais et je n'étais pas vraiment seule.
Je savais qu'il était là. J'allais et venais avec lui. Dans mes 18 ans. Dans mes balbutiements en mode majeur. En hypokhâgne. Hé oui, ça peut arriver de passer par-ci, par-là. Dans un foyer d'étudiantes. Où trois étudiants avaient aussi leur chambrée. Allez savoir pourquoi. Et lui, il était assez indifférent à tout cela. Assez discret. Assez inerte en fait.
Parfois je l'oubliais. Je le délaissais. Je partais sans lui. Sans habitude. Sans regret. Je pensais avant tout à m'affranchir. Franchir des seuils. Seule. Je dois l'avouer, je lui vouais un intérêt encore assez limité. Je pouvais me passer de lui.
Parfois, je choisissais de me passer de lui une journée complète. C'était ma journée sans lui. Ma journée avec moi. Souvent le dimanche. Souvent un jour de grand chambardement, de grand vide, de trop-plein, de trop c'est trop. Hé oui, ça peut arriver de passer par-ci, par-là. Je le retrouvais ensuite le soir. Heureuse d'avoir relevé mon infime défi. Soulagée de le retrouver. Je finissais toujours, un moment donné, par revenir à lui.
Et puis, j'ai continué mon chemin de ville en ville. Clermont-Ferrand. Lyon. Bruxelles. Paris. Achères. Vernouillet. Noisy-le-Grand. Besançon. Prémery. Re-Besançon (énumération non-exhaustive). J'ai eu peur de le perdre plusieurs fois. Mais je finissais toujours par sentir sa présence.
Et puis, j'ai poursuivi mes multiples cheminements. De psychologues en homéopathes. De psychanalystes en hypnothérapeutes. De naturopathes en sophrologues. Hé oui, ça peut arriver de passer par-ci, par-là.
Fidèle allié, il était toujours là. Stable et rassurant. Vaillant. Constant. De jour comme de nuit. Éteint ou allumé. A portée de main ou au fond d'une poche. Dans un couloir de métro ou dans un passage sinueux. Sur une table débordante ou une étagère chargée. Mon cher Nokia 3310. L'année dernière, prise d'un élan technophile-consumériste je l'ai délaissé au profit d'un smartphone (reconditionné). La trentaine bien passée, j'ai cédé aux sirènes des applications, notifications et autres attentions machinales.
Il me manque parfois ce cher Nokia. Alors en souvenir de nos belles années, je laisse parfois mon smartphone éteint un peu plus longtemps certains matins. Mon défi : le délaisser davantage pour mieux revenir à moi. Le laisser chaque jour un peu plus éteint pour mieux voir les étoiles qui filent, les yeux qui brillent et les jours qui s'allument.